L’écrivain belge, membre de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, vient de publier Les Aérostats. Cet ouvrage connaît un beau succès littéraire, après la publication de l’étonnant Soif, dans lequel elle évoquait ce qu’avait pu ressentir Jésus lors de sa Passion, moyen pour elle de mieux le connaître et d’appréhender ce grand mystère de la crucifixion du Fils de Dieu. Depuis son domicile parisien, où le confinement l’a tenue recluse, l’auteur prolifique a pris le temps de nous parler de sa relation au Christ.

PROPOS RECUEILLIS PAR CYRIL LEPEIGNEUX. PHOTO : JOEL SAGET / AFP

Chaque année, vous sortez un nouveau livre qui figure dans la liste des meilleures ventes : d’où vous vient l’inspiration ? C’est un phénomène très curieux. Un phénomène vertical. Nous sommes, nous autres êtres humains, des créatures plutôt horizontales. Mais il y a parfois des trucs verticaux qui passent. Tout le talent est de les attraper. Je l’ai fait quand j’avais 17 ans et je ne l’ai jamais laissé partir : j’écris tous les jours de ma vie, sans aucune exception !

Vous dites qu’il faut être relativement vide et en silence pour accueillir ces « trucs verticaux ». Certains, dans cet état, y trouvent Dieu… Je le comprends très bien. Chez moi, ce phénomène a commencé dès le berceau. Une voix me parlait, qui venait de très loin et je ne savais pas qui c’était. Mes parents ne m’avaient pas encore parlé de Dieu. J’étais un bébé. Plus tard, quand j’avais 3 ans, mon père m’a expliqué qui était Jésus. Je me souviens très bien avoir pensé : « Tiens, bon sang, mais c’est bien sûr ! La voix qui me parle, c’est Jésus ! »

Vous êtes née dans une famille plutôt catholique… Extrêmement catholique. La famille Nothomb est la famille la plus catholique de Belgique. Elle a créé le Parti catholique belge. Il s’agit d’un catholicisme que je trouve plutôt étroit et qui n’est pas exactement celui qui me séduit. J’ai réussi à m’en détacher en partie parce que j’ai toujours senti qu’il y avait quelque chose de très intéressant dans cette religion.

Comment cela s’est-il passé ? Alors, j’ai d’abord rencontré un très grand chaos qui a duré très longtemps. Il faut bien le dire, quand on s’éloigne de sa famille et de ce dans quoi on a été élevé, il ne faut pas s’imaginer qu’on va être compris. Pendant beaucoup d’années, cela a donc été le temps de l’incertitude, du chaos, du rejet, l’impression d’être dans le néant. Et puis finalement, ça a été la peur. Il faut accepter cette peur-là aussi. C’est un risque. Mais sans ce risque, je crois qu’on n’arrive à rien. On étouffe. Il faut accepter la jeunesse comme un risque. Bernanos, qui est un écrivain que j’admire terriblement, dit que la jeunesse est un risque à courir et que ce risque même est béni. C’est là que j’ai commencé à écrire.

Avec ces « trucs verticaux » ? Oui, cette inspiration dont je vous parlais et que je ne m’explique pas. J’hésite beaucoup à mettre le nom de Dieu derrière parce que ce serait très prétentieux de ma part de prétendre que Dieu m’a appelée pour écrire. Mais ce qui est certain, c’est que tout cela ne peut pas venir rien que de moi. Je ne suis jamais qu’une petite personne. Je suis en train d’écrire mon centième manuscrit. J’en ai publié vingt-neuf. Comment imaginer que tout cela ne vienne que de moi ?

Avez-vous gardé des liens avec l’Église ? Oui, j’ai beaucoup d’amis qui sont prêtres ou religieux. Quand est paru mon précédent livre, qui s’appelle Soif et qui raconte l’histoire de la Passion du Christ à la première personne du singulier, j’ai reçu des courriers de jeunes catholiques, mais aussi de prêtres enthousiastes comme l’évêque de Nanterre, Mgr Matthieu Rougé. Comprenons-nous bien : ma démarche, en écrivant Soif, consistait simplement à m’approprier le personnage de Jésus, à expliquer : « Voilà, pour moi, Jésus, c’est ce personnage-là. » Je pense que tout croyant devrait en faire autant.

D’où est venu ce désir d’écrire un tel ouvrage que vous présentez comme l’œuvre de votre vie ? Quand mon père m’a parlé de Jésus pour la première fois, cela a été un coup de foudre comme je n’en ai jamais vécu de ma vie. Et j’ai toujours su, avant même de savoir que je serais écrivain un jour, que, d’une manière ou d’une autre, je me rapprocherais au maximum de Lui. Un jour, à 12 ans, j’ai su que je voulais raconter l’histoire de ce que je ne comprenais pas chez Jésus. Mon entrée dans l’adolescence a été extrêmement violente, douloureuse et chaotique. C’est là que j’ai vraiment pris conscience que la crucifixion de Jésus n’était pas un petit détail de l’histoire. Que c’était le nœud de toute l’affaire. Cette découverte de la souffrance de Jésus… Comment la comprendre ? Comment l’accepter ?

« Quand mon père m’a parlé de Jésus pour la première fois, cela a été un coup de foudre comme je n’en ai jamais vécu de ma vie »

Alors ? Par la suite, devenue écrivain, j’ai vite compris que raconter cela était beaucoup trop difficile pour moi. Je n’étais jamais qu’un petit écrivain. Alors j’ai écrit, écrit, écrit. Sur le point de commencer mon 93e manuscrit, j’étais à l’église Notre-Dame-des-Champs en train de prier, quand soudain m’est apparue comme une évidence : c’est maintenant ! « Ma vieille, t’as 50 ans, donc, si tu attends plus longtemps, qu’est-ce que t’imagines ? Tu ne vas pas devenir un meilleur écrivain. Tu vas juste vieillir… » Et je m’y suis mise dès le lendemain.

En écrivant ce livre, avez-vous découvert de nouveaux aspects de votre relation à Jésus ? Oui, et des choses énormes ! Quand je suis face à des mystères beaucoup trop grands pour moi, il n’existe pour moi qu’une manière de les élucider, c’est de leur consacrer un roman. Le nœud du mystère était pour moi celui-ci : pourquoi Jésus, qui savait qu’il allait être crucifié, a-t-il accepté la crucifixion ? Pourquoi, avec sa sagesse et sa science, a-t-il accepté ? Il a vraiment fallu que j’écrive Soif pour trouver ce qui tenait lieu de réponse à cette question qui me hantait depuis tellement d’années.

Et vous avez eu l’impression de pouvoir Le rejoindre un peu, presque de Le rencontrer ? Oui. Je sais que cela a l’air absolument dément de dire cela mais, comprenons-nous bien : j’ai toujours su que je n’étais pas Jésus. Je n’ai pas cru que j’étais Jésus en écrivant ce livre. Mais il y a des moments où je me suis rapprochée de Lui autant que possible. Autant que moi, Amélie Nothomb, je pouvais le faire en écrivant ce livre. Donc, ce que j’écris dans ce livre, ce n’est pas La Vérité mais ma vérité. Et c’est ce qui me permet de continuer à vivre en ayant un embryon de réponse.

Rencontrer ainsi Jésus permet-il d’aimer davantage son prochain ? De s’aimer soi-même davantage ? C’est surtout ça. Pour aimer davantage mon prochain, je n’ai jamais eu de gros problèmes car je suis quelqu’un d’aimant. Ce qui a été difficile pour moi, c’est de m’accepter. C’est mon combat quotidien. Et ce livre raconte ça : comment s’accepter.

Et on y arrive ? C’est très difficile. Mais du moment qu’on y arrive une fois par jour, c’est déjà pas mal ! Je suis un écrivain heureux et une personne qui s’est réalisée mais cela ne résout pas toutes les questions. Il y a les questions intimes, les questions qui m’agitent quand je ne dors pas – je suis une grande championne de l’insomnie – et ces questions sont terribles. Elles mettent face à face avec la haine de soi, ce démon qui nous pend tous au nez. Nous sommes tous capables de nous haïr. Quelque chose d’absurde mais qui nous tourmente. Tous les jours je dois tout de même me pardonner à moi-même. Les progrès sont illusoires et doivent être maintenus au quotidien. Un rien et le démon l’emporte.

Quel est le sens de votre vie ? C’est d’aimer. Aimer les gens. J’essaie d’aimer tout le monde même si je n’y arrive pas toujours. Mais j’essaie quand même. L’autre, que je n’apprécie pas for- cément, est tout de même mon frère. L’aimer, ça rend heureux !

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