Comment discerner ? Voilà une question d’actualité ! Au lendemain des confinements, comment organiser ma journée ? Par quoi commencer ? Plus radicalement, vais-je épouser Emma ou Gabrielle, Lucas ou Théo ? Dois-je ou non changer d’orientation professionnelle ? Plus légèrement, pour me détendre ce soir, est-ce que je continue ma série télé ou est-ce que je lis un roman ?

PAR PASCAL IDE – PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE MEYER

Pascal Ide est prêtre catholique du diocèse de Paris, médecin, docteur en philosophie et en théologie. Il a publié une trentaine de livres, notamment en éducation, en éthique, en psychologie, en philosophie et en théologie. Retrouvez ce texte sur le site pascalide.fr

Il convient d’abord de distinguer deux sortes de discernement. Certains se formulent en termes de :« Faut-il ? »ou bien « Est-ce bon ou mauvais ? » Ces discernements sont moraux. Ils demandent avant tout que nous fassions appel à notre conscience morale (qu’est-ce qui nous semble moralement bon ou mauvais, non pas seulement pour moi, mais en soi ?), et d’abord que nous la formions, et donc que nous nous informions : que dit la loi civile ? Par exemple, est-ce qu’elle me permet de sortir deux heures pour mon temps quotidien de détente et de marche ? Se fier à ce que nous ressentons (« J’en ai besoin pour ma santé ») est donc insuffisant ; encore faut-il intégrer ce qui est bon pour l’autre et tout simplement l’obéissance à la loi civile qui veille sur le bien commun.

D’autres discernements se formulent en termes de préférence : « Est-il préférable que… ? » Tel est le cas des questions posées au début de l’article : est-il pré- férable que je commence l’après-midi par un temps de sport ou par un coup de fil à mon voisin isolé ? Ce discernement me place non plus entre un bien et un mal, mais entre deux biens. Sachant que nous ne sommes jamais obligés de choisir le meilleur bien, mais simplement ce qui est éthiquement bon.

INTELLIGENCE ET VOLONTÉ

Centrons-nous sur ce deuxième discernement. Le plus souvent, nous faisons spontanément appel à l’un de ces critères : qu’est-ce que je dois faire ? qu’est-ce qui m’attire ? qu’est-ce qu’en pense cette personne avisée ? etc. Si je suis croyant : qu’est-ce que Dieu veut ?Or, pris isolément, chaque critère est insuffisant. Voire, il peut arriver que nous soyons tentés par la passivité (lire le témoignage ci-dessous). Nous demandons à l’autre de choisir pour nous, nous procrastinons pour que les événements décident à notre place. Pourtant, en optant pour la passivité, nous oublions que nous sommes doués d’une intelligence et d’une volonté. Surtout, nous sommes les grands perdants de cette attitude : nous devenons esclaves de l’autre ou des événements ; nous perdons cette grande dignité d’être le « père » de nos actes ; nous affamons notre estime de nous-mêmes (qui se nourrit de nos initiatives et de nos réussites).

EN PRATIQUE

Revenons à la question des critères. Il ne s’agit pas de choisir entre eux, mais de les intégrer dans une démarche qui les prenne en compte. Je vous propose cinq étapes. Les trois premières sont toujours néces- saires ; les deux autres ne le sont que si la décision porte sur une matière d’importance ou si la lumière est insuffisante. Quand vous avez un discernement à poser, demandez-vous :

1. Qu’est-ce qui habite mon cœur ?

Le cœur n’est pas seulement l’organe des émotions et de l’amour, mais aussi notre centre intime. C’est ce qui fait dire au Renard s’adressant au Petit Prince : « On ne voit bien qu’avec le cœur. » Faisant d’ailleurs écho à la Bible (1 S 16, 7). Une fois branché sur ce centre intime, demandez-vous quel est votre désir profond ? Non pas l’envie irrépressible qui vous prend maintenant et qui demain sera déjà oubliée. Mais le désir durable, qui vous habite depuis longtemps, le bien fondamental qui s’y dessine : par exemple, en désirant devenir pianiste professionnel, vous aspirez à servir la beauté. Ayant pris le temps de connecter avec vos aspirations profondes et durables, voyez si ce choix est en ligne avec elles.

2. Que me dit la loi ?

Aujourd’hui, le terme loi évoque une prescription contraignante, qui nous est imposée et s’énonce en termes de permis et de défendu. Mais, en son essence, la loi formule le bien que nous sommes appelés à accomplir. Or, loin d’être arbitraire ou étranger, ce bien fait du bien. Par exemple, le commandement qui prohibe le mensonge (« Tu ne mentiras pas ») se fonde sur le fait que nous sommes faits pour la vérité. Qui supporte qu’on lui mente ou qu’on le trompe ? Ayant pris le temps de vous informer sur ce que dit la loi, la loi civile, mais aussi ce que l’on appelle la loi naturelle (en gros les dix commandements), mettez votre action en conformité avec elle.

3. Que me dit mon intelligence pratique ?

Je vous renvoie à l’encadré. Lorsque la situation le requiert, demandez-vous aussi :

4. Que me conseillent les personnes avisées ?

C’est-à-dire non pas seulement les experts et les savants, mais les personnes d’expérience dont le jugement est équilibré. Alors, exposez-lui la situation avec précision (ce qui ne signifie pas qu’il faille remon- ter jusqu’à Adam et Ève !) ; ne dissimulez aucune circonstance d’importance ; faites confiance ; ne multipliez pas inconsidérément les avis ; et rappelez- vous que c’est à vous de décider. Quelqu’un deman- dait un conseil à un homme sage : « Que feriez-vous àmaplace?»Ilrétorqua:«Moi,rien.Etvous?»

5. Si vous êtes croyant, qu’est-ce que Dieu m’inspire ?

Pour cela, je vous renvoie à l’excellent ouvrage de Jean Gouvernaire dont vous trouvez la référence dans la bibliographie. Une fois le discernement posé, il reste à décider et à agir. Bon entraînement !

3 CLÉS POUR DISCERNER

1. Posez-vous une question claire

C’est-à-dire formulez une alternative. Si vous vous demandez : « Que faire comme études ? » les réponses sont tellement nombreuses que vous serez paralysés. En revanche, ce n’est plus le cas si vous vous placez face à deux hypothèses contradictoires (A et non-A) : « Est-ce que, oui
ou non, l’an prochain, je ferai des études d’ostéopathie ? »

2. Pesez le pour et le contre

Prenez une feuille de papier, tracez deux colonnes, une pour « A » (déménager à Lyon) et l’autre pour « non-A » (ne pas déménager à Lyon) ; puis écrivez en quelques mots les raisons en retournant à la ligne pour chacune ; enfin, calculez le nombre de raisons dans un sens ou dans l’autre ; voire pesez le poids de ces raisons en leur affectant un indice.

3. Consentez à l’incertitude

Le monde des hommes n’est pas celui des choses. Celles-ci sont régies par des lois nécessaires (le pôle positif attire le pôle négatif), pas les affaires
humaines : la réalité est complexe, les événements imprévisibles, la liberté de l’autre immaîtrisable. Donc, même le discernement le plus minutieux peut errer.

TÉMOIGNAGE

« REVIGORÉ PAR CET APPEL À MA RESPONSABILITÉ »

Le frère dominicain Adrien Candiard raconte sa « première et, en un sens, la seule leçon de morale chrétienne » qu’il a reçue.
N’ayant pas encore opté pour la vie religieuse, jeune étudiant en histoire qui a la chance de passer une année à Rome, il flâne longuement dans la Ville éternelle. Or, « cet immense loisir, paradisiaque quand il ne dure que quelques jours, devenait plus pesant étiré sur des mois ». Il décide d’aller à la messe tous les matins, à 7 heures, en bas de chez lui. Voilà un remède roboratif qui va le tirer de la paresse qui menace sérieusement ! Mais il suppose de se lever tôt le matin. Comment trouver la force ? Il conçoit alors « un plan machiavélique » : en parler à son prêtre accompagnateur afin qu’il le lui ordonne. « Je me sentirais alors tenu par une forme d’obéissance, certainement suffisante pour sortir de mon lit. » Que fit le prêtre ? L’air consterné, il répond à son dirigé : « Je ne vais rien t’ordonner du tout. La vie chrétienne, c’est grandir en liberté, pas faire ce qu’on te dit. Si tu veux y aller, à cette messe, eh bien vas-y ; et si tu ne veux pas y aller, n’y va pas. » Résultat chez Adrien : « Revigoré par cet appel à ma responsabilité, à mon propre choix du bien, plutôt qu’à une obéissance puérile, de ce jour-là, je n’ai plus eu aucune difficulté à me lever pour me rendre tous les matins à la messe ». Et le fruit s’étend à toute son existence : « Je retrouvai bientôt cette vie active et joyeuse qui auparavant s’étiolait peu à peu. » En sortant de la fausse tranquillité de la passivité et de la paresse, Adrien a découvert la joie de l’initiative et du discernement.

À Philémon. Réflexions sur la liberté chrétienne, Adrien Candiard, Le Cerf, 2019.


 

Pour aller plus loin

Comment discerner – Pascal Ide, Éditions Emmanuel, 2020.

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