Jésus nous demande d’aimer nos frères comme il les aime et de leur laver les pieds, s’ils en ont besoin. Mais il réclame aussi que nous l’aimions lui-même par-dessus tout et que nous lui procurions ainsi un plaisir dont il n’a pas vraiment besoin, mais qui le réjouit et le réjouira éternellement.
LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET LE PÈRE PIERRE DESCOUVEMONT
Après avoir été professeur de lycée, aumônier de jeunes, conseiller national des Équipes Notre-Dame, le père Descouvemont anime aujourd’hui retraites et émissions de radio. Il est l’auteur d’une vingtaine de livres expliquant la foi catholique dont le Guide des difficultés de la foi catholique (12 éditions).
Obligés d’aimer Jésus par-dessus tout, les chrétiens ne peuvent pas nous aimer de tout leur cœur, puisqu’ils se croient obligés d’aimer plus que tout le monde un Jésus qu’ils ne voient même pas !
Pierre Descouvemont : S’il vous arrive de vous marier, ma chère Lili, vous verrez que votre amour conjugal ne vous empêchera nullement d’aimer, d’un très bel amour, beaucoup d’autres personnes. Tâchez de deviner ce qui se passe dans le cœur de celui qui découvre soudain quelqu’un qui l’aime infiniment et continûment : son bonheur le dynamise tellement qu’il se met à aimer les autres encore plus ! Cela dit, il ne manque pas de célibataires heureux de semer de la joie autour d’eux.
Mais Jésus a dit à ses disciples, après leur avoir lavé les pieds : « MON commandement, c’est que vous vous aimiez les uns les autres comme Je vous ai aimés ». Les chrétiens devraient donc mettre tout leur cœur à aimer leur prochain plutôt qu’à aimer Jésus.
C’est effectivement l’interprétation que donne Luther de cette parole de Jésus. Pour lui, le véritable amour évangélique consiste à nous mettre de façon totalement désintéressée au service des pauvres et à leur laver les pieds comme l’a fait Jésus. En conséquence, notre amour pour Dieu – infiniment bon – ne peut pas être de l’agapè (l’amour divin et inconditionnel, NDLR), un amour authentiquement évangélique. La seule chose qu’Il nous demande, c’est de croire en son amour et d’aimer nos frères.
Nous sommes donc, dit-il encore, de simples « canaux » qui, après avoir bénéficié de l’amour de Dieu, doivent le faire découvrir à leurs frères. Et si nous prions, c’est essentiellement pour laisser l’Esprit envahir notre cœur, afin de pouvoir aimer nos frères et leur révéler ainsi le vrai visage de Dieu.
Pourquoi n’êtes-vous pas d’accord avec Luther ? Peut-il exister une plus belle façon d’aimer Dieu que celle d’aimer nos frères et de leur faire découvrir son amour par notre propre amour ?
Il est évident que l’amour des pauvres et le désir de leur faire découvrir le Seigneur doivent avoir une place essentielle dans notre cœur. Et l’on ne dira jamais assez qu’il n’est pas possible d’aimer Dieu sans aimer nos frères (1 Jean 4, 20). Mais, interrogé à ce sujet, Jésus n’a pas manqué d’affirmer que le premier commandement était encore celui d’aimer Dieu « de tout notre cœur et de toutes nos forces » (Matthieu 22, 37). Et pourquoi ? Parce que, du fait de ce qu’il est, Dieu est le seul être à pouvoir satisfaire le désir le plus profond de tout homme : être aimé par un Dieu infiniment aimant et pouvoir adorer un Dieu infiniment aimable. Si Dieu nous demande de l’aimer par-dessus tout, c’est pour notre bonheur !
Malheureusement, aujourd’hui, beaucoup de chrétiens ne le savent plus. Quand ils se confessent, ils s’accusent presque uniquement de leurs péchés dans le domaine de la charité fraternelle, si bien qu’ils arrivent à penser que ce sont surtout les hommes qu’il faut aimer. S’ils vont à la messe, c’est pour « recharger » leurs batteries, pour y puiser l’énergie nécessaire pour se mettre au service de leur prochain tout au long de la semaine – beaucoup plus que pour se laisser entraîner par le Christ et goûter avec Lui, sous le souffle de l’Esprit Saint, l’amour du Père. Ils finissent donc par penser que ce sont les hommes qu’ils doivent aimer par-dessus tout. Dieu n’est plus à leurs yeux que le Moteur qui peut les aider à aimer les hommes – la chose essentielle. En allant communier, ils ne se chantent plus les uns aux autres comme le faisaient leurs ancêtres : « Goûtez et voyez comme est bon le SEIGNEUR ! » Goûter Dieu ? Ils n’osent plus le faire : ce serait du temps volé à leur prochain. C’est l’homme qu’il faut aimer, c’est l’homme qui est Dieu !
Pour aimer Dieu, il faudrait, vous le dites vous-même, parvenir à goûter son amour. Avouez que ce n’est pas facile !
C’est précisément cette possibilité qui m’est donnée pour avoir expérimenté la présence de Jésus ressuscité dans ma vie. Il m’invite à un voyage de noces avec lui, à tout faire « à deux » et « l’un pour l’autre ». Il habite tout au fond de moi-même, heureux de m’y créer en m’appelant par mon nom, heureux de me façonner un « cœur nouveau », mais tout heureux également d’y recevoir les sourires intérieurs que je lui adresse pour lui exprimer ma reconnaissance et ma foi en sa Providence : il est mon berger et rien ne saurait manquer où il me conduit. C’est avec lui et en lui, dans l’élan de l’Esprit qu’il me communique, que je peux tourner mon cœur vers mon créateur, en lui disant, plein de confiance : « Père ! » Cette familiarité que je vis avec Jésus ne m’empêche nullement – bien au contraire – d’avoir de la tendresse pour mes frères.
Je comprends que vous ayez envie de dire merci à ce Dieu qui vous donne la joie de le rencontrer et de vivre une telle familiarité avec lui. Mais croyez-vous vraiment que vous puissiez apporter quelque bonheur supplémentaire à un Dieu infiniment heureux et qui n’a besoin de rien ?
Parfaitement. Dieu n’a effectivement besoin de personne d’autre pour être pleinement heureux. Mais le Dieu qui se révèle dans la Bible est tellement amoureux qu’il veut recevoir de chacun de ses enfants un plaisir particulier : « Montre-moi ton visage et fois-moi entendre ta voix, nous dit-il, car ta voix est douce et charmant ton visage » (Cantique des Cantiques 2, 14). Dieu prend donc plaisir à regarder et à écouter chacun de ses enfants. Et, dans le Nouveau Testament, nous voyons Jésus mendier de l’eau à une Samaritaine et demander à ses disciples de l’aimer plus qu’ils n’aiment leur père, leur mère ou leurs enfants (Matthieu 10, 17). Il est donc à la fois celui qui nous console et celui qui réclame notre pauvre amour. Et il a confié à Marguerite-Marie dans son couvent de Paray-le Monial son désir d’être consolé de la peine qu’il éprouve devant l’ingratitude de tant de chrétiens à son égard.
Pour obéir à Jésus, il ne vous suffit donc pas d’aller consoler les personnes qui souffrent de leur solitude ? Il réclame aussi que vous lui rendiez souvent visite au fond de votre cœur ?
Effectivement, Jésus est tout à la fois le Seigneur infiniment heureux avec son Père et l’Esprit dans la gloire du ciel et l’époux tellement amoureux que par les SMS – « Sourires Minuscules Silencieux » – que nous lui adressons, nous lui procurons un plaisir unique qui le réjouit et dont il jouira avec nous dans le ciel. Ce plaisir fera d’ailleurs partie de notre bonheur éternel !
POUR ALLER PLUS LOIN
La joie de consoler Jésus
Pierre Descouvemont, Salvator, 2021,151 pages, 14 €.