Le christianisme, une religion dépassée ?
Débat. Alors que les conversions à l’islam augmentent et que de nombreux Français se tournent vers la spiritualité orientale, le christianisme semble en perte de vitesse. Qu’en est-il exactement ?
LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET MGR YVES LE SAUX
Aujourd’hui, la spiritualité revient en force. Mais certainement pas le christianisme, qui est dépassé et n’a plus rien à dire aux hommes d’aujourd’hui. Qui est Jésus aujourd’hui, sans blague ? Un gentil philosophe, le Gandhi du premier siècle !
Le mot de « spiritualité » renvoie à des réalités très diverses ; de la véritable recherche religieuse à la simple recherche du bien-être intérieur en passant par la curiosité ésotérique jusqu’aux superstitions les plus absurdes. Il me semble surtout que nos contemporains sont en recherche de sens. Beaucoup sont désorientés par les situations qui les entourent et les questions fondamentales refont surface : quel est le sens de ma vie ? Dans quelle direction orienter mes choix ? Qu’est-ce qui m’attend au-delà du seuil de la mort ? Pendant des années, on s’est préoccupé de donner des moyens de vivre, alors que l’on a surtout besoin de raisons de vivre. On a confondu consommation et bonheur. Une culture du bien-être immédiat égocentré s’est développée qui conduit à un grand vide et à une profonde tristesse. Une société du divertissement ne peut combler le cœur de l’homme et laisse les pauvres et les plus fragiles sur le bord du chemin. Prétendre que personne ne s’intéresse au christianisme est faux. Je pense aux milliers d’adultes qui sont baptisés chaque année dans notre pays, aux milliers de jeunes qui se rassemblent lors des Journées mondiales de la jeunesse depuis plus de trente ans, aux milliers de chrétiens dans le monde qui préfèrent perdre tout jusqu’à leur vie plutôt que de renier le Christ.
Vous les chrétiens, vous devriez aussi vous demander pourquoi tant de jeunes se convertissent à l’islam aujourd’hui, et aucun au catholicisme.
De nombreux jeunes se convertissent à l’islam, parfois en quelques semaines, parfois hélas pour aller vers des extrêmes dont nous connaissons les terribles conséquences. Mais il est inexact de dire que personne ne se convertit au catholicisme. Tous les ans en France, des personnes rencontrent le Christ et demandent le baptême, un certain nombre sont d’origine musulmane. Ils le font parfois au risque de leur vie. Ces conversions de jeunes à l’islam ne sont pas d’abord une question posée aux chrétiens mais à la société occidentale dans son ensemble. Dans le cœur de tout homme, il y a une aspiration à la transcendance, un besoin de donner sa vie, de transmettre la vie. Le but de la vie ne peut pas être seulement d’avoir une belle voiture, ni le dernier jeu vidéo à la mode, ni d’être vu à la télévision… Quel idéal exigeant, quelles raisons de donner sa vie la société propose-t-elle aux jeunes ? Ne vous étonnez pas qu’ils aillent chercher ailleurs. Sans doute nous, les chrétiens, n’avons-nous pas toujours eu l’audace de proposer la radicalité que Jésus demande à ses disciples : donner leur vie par amour. Depuis toujours, des hommes et des femmes ont répondu à cet appel pour leur plus grande joie.
Ce que j’aime dans les spiritualités orientales, c’est qu’elles n’enferment pas dans une religion. Elles proposent une ouverture au spirituel, mais sans déité particulière, sans dogme… Du coup on est vraiment libre.
Les spiritualités orientales attirent, surtout vues de l’Occident. Ce ne sont pas vraiment des religions, plutôt des sagesses qui se présentent comme des chemins pour trouver la paix intérieure, l’harmonie avec le cosmos. C’est très respectable mais non sans interrogations et peut-être très égocentré. Elles ne répondent pas à la question de la souffrance ni de la présence du mal dans le monde et dans nos propres cœurs. La perspective chrétienne est radicalement différente. L’Apôtre Jean définit ce que sont les chrétiens par cette affirmation : « Nous avons découvert l’Amour de Dieu et nous y avons cru. » Pour les chrétiens, l’Amour n’est pas une énergie, mais une Personne. À l’origine du fait d’être chrétien, il n’y a pas une grande idée, ni une décision éthique, mais la rencontre avec une personne qui change la vie. Je ne peux qu’en rendre témoignage : j’ai découvert l’amour de Dieu pour moi, et cela a transformé ma vie. Des milliers d’hommes et de femmes ont fait cette expérience au cours de l’histoire, et encore aujourd’hui. Je ne peux que souhaiter à tous de faire cette expérience. Quant à la question de la liberté, ce qui rend libre, c’est de se savoir aimé, pardonner et de vivre dans la vérité. La liberté, ce n’est pas faire ce que je veux selon mes impulsions du moment. C’est vivre dans l’amour et la vérité.
Les pratiques de l’Église sont ringardes : confesser ses péchés à un prêtre, être bien gentil avec son prochain… Comment pouvez-vous vivre dans le monde en suivant des préceptes aussi « has been » ?
Une des questions fondamentales qui traverse le cœur de l’homme est : Le pardon est-il possible ? La vengeance et la haine ne peuvent qu’engendrer la destruction. Aucun de nous ne peut dire, je n’ai jamais fait le mal, je n’ai jamais été complice du mal ou du mensonge. Au cœur du message de l’Évangile, il y a le pardon. Les chrétiens croient que Jésus est venu pour nous réconcilier avec Dieu, avec les autres, avec nous-mêmes. L’Église donne accès au pardon à travers la confession. C’est la véritable bonne nouvelle. La seule condition pour recevoir ce pardon, c’est de reconnaître que l’on en a besoin. Quant à dire que nous devons être gentils avec son prochain, Jésus va beaucoup plus loin : il donne sa vie par amour pour tous, les bons comme les méchants et nous invite à faire de même jusqu’à aimer nos ennemis. C’est une véritable révolution. Nous croyons que l’amour est plus fort que la haine, que la mort n’est pas le dernier mot. Les chrétiens sont par nature « à contre-courant ». Quel homme public, quelle institution propose l’humilité, le pardon, l’amour des ennemis, l’oubli de soi comme chemin de bonheur ? Cela demande un certain courage, mais c’est la condition de la joie.
Sans compter les dogmes de l’Église concernant la sexualité : ne pas coucher avant le mariage, pas de contraception, ne pas divorcer… Comment voulez-vous convaincre des jeunes que ça rend heureux d’être chrétien, avec tous ces interdits ?
Ce que dit l’Église sur la sexualité est en réalité d’une grande profondeur. La sexualité participe de la beauté et de la grandeur de l’homme, c’est ce qui dans l’homme est le plus précieux et sans doute le plus fragile. Elle est liée à l’amour, au don de soi à l’autre et à la vie. Je vous invite à prendre la peine d’aller lire ce que l’Église dit exactement sur le sujet.
L’Église a connu de grandes heures à une époque passée mais aujourd’hui c’est terminé, les églises sont vides, il n’y a plus de prêtres, les jeunes choisissent d’autres chemins spirituels.
Moi, je ne suis pas inquiet pour l’avenir de l’Église, cela fait 2 000 ans qu’on annonce sa fin et elle a connu des périodes bien plus difficiles. Mais parfois, je suis inquiet pour l’avenir de l’humanité, car l’orgueil de l’homme peut le conduire au pire. Quant à la grandeur passée de l’Église, chaque fois qu’elle a été installée et glorieuse, elle s’est perdue. Chaque fois que les événements l’ont conduite à ressembler à son maître qui a pris le chemin de l’humilité, de la faiblesse jusqu’à l’échec apparent de la croix, elle a transformé le monde. L’avenir peut nous réserver des surprises. En réalité quand les chrétiens sont eux-mêmes, ils dérangent. Le véritable défi pour eux n’est pas de plaire mais d’être eux-mêmes. Nous n’avons pas d’identité à défendre mais une identité à vivre.
POUR ALLER PLUS LOIN
Mgr Le Saux est évêque d’Annecy depuis 2022, après avoir été évêque du Mans pendant 14 ans. Il a été ordonné prêtre pour la communauté de l’Emmanuel en 1986.