Qui est celle que les évangiles présentent comme la mère de Jésus et que l’Église appelle « la Mère de Dieu » ? Et que dire de toute la dévotion qui l’entoure : vraie piété ou idolâtrie ? « Si on mettait dans le cœur d’une seule mère tout l’amour de toutes les mères, celle-ci nous aimerait moins que Marie », disait saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Un de ses lointains successeurs arrivera-t-il à en convaincre Lili Sans-Gêne ? À vous de juger !

LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET LE PÈRE GUILLAUME DE MENTHIÈRE

Ordonné prêtre pour le diocèse de Paris en 1991, chanoine de la cathédrale Notre-Dame de Paris et curé de la paroisse Notre-Dame de l’Assomption de Passy, Guillaume de Menthière est enseignant au Collège des Bernardins. Il a donné toutes les Conférences de Carême de Notre-Dame de Paris depuis 2019.

Marie a-t-elle vraiment existé ? Si c’est le cas, prouvez-le-moi !

Ah ! Vous commencez fort ! En mathématiques, il est courant de résoudre une question en la ramenant à un problème déjà résolu. Vous connaissez la fameuse blague du polytechnicien qui suit un cours de cuisine. Il note consciencieusement comment faire un œuf dur: remplir une casserole d’eau, allumer la gazinière, porter l’eau à ébullition, mettre l’œuf et jeter l’eau au bout de dix minutes. On lui tend alors une casserole remplie d’eau pour qu’il la fasse chauffer. Sous l’œil médusé du cuisinier, il commence par jeter l’eau avant de remplir à nouveau la casserole en expliquant : « Ainsi, je suis ramené au problème précédent. » Puisque de toute évidence Marie est la mère de Jésus, je suis ramené à la question : Jésus a-t-il vraiment existé ? Et là, franchement, personne ne doute de l’existence historique du personnage Jésus. Même les adversaires les plus acharnés du christianisme dans les premiers siècles de notre ère n’ont pas remis en cause l’historicité de Jésus. Ils ont affirmé que Jésus était un faussaire, raillé la crédulité des chrétiens qui mettaient leur foi en un misérable crucifié, prétendu que le cadavre de Jésus avait été dérobé, mais aucun d’entre eux n’a dit : de toute façon votre Jésus n’a jamais existé. Si l’homme Jésus a vécu, il a une maman, comme chacun d’entre nous. Et cette maman s’appelle Marie.

Les chrétiens l’appellent « la Sainte Vierge », cette histoire de virginité, c’est gros quand même ! Je vous rappelle qu’elle a eu un fils… et peut-être même plusieurs si je lis bien l’évangile.

Vous ne lisez pas très bien, car nulle part dans l’évangile il n’est dit que Marie ait eu d’autres enfants que Jésus. Les frères et sœurs de Jésus ne sont jamais appelés les fils de Marie. D’ailleurs lorsque Joseph, Marie et Jésus âgé de douze ans font le pèlerinage de Jérusalem, on ne voit pas que la Sainte Famille se soit agrandie d’autres enfants. Point de marmaille autour de la Sainte Vierge. Or si l’on donnait le sens d’enfants de Marie à ceux que l’évangile nomme frères et sœurs de Jésus, Marie aurait une progéniture fort nombreuse, au bas mot sept enfants ! Au pied de la croix, on ne voit pas que la Vierge soit entourée par cette abondante descendance, ni qu’elle soit confiée après la mort de Jésus, comme il serait naturel, à la garde d’un fils cadet. Reste que Marie a conçu et mis au monde virginalement son fils unique Jésus. Là-dessus les évangiles sont très clairs. Ils affirment cela, soulignons-le, dans un contexte où la virginité n’est pas du tout une valeur positive et alors que cela gêne plutôt leur volonté de convaincre. Mais ils ne peuvent altérer les faits, si mystérieux soient-ils : ce qui a été engendré en Marie vient de l’Esprit Saint.

Je trouve quand même un peu injuste pour son pauvre mari Joseph de l’avoir épousée pour rester « chaste » toute sa vie !

Vous me rappelez la très belle chanson de Georges Moustaki : « Voilà c’que c’est mon vieux Joseph, que d’avoir pris la plus jolie parmi les filles de Galilée, celle qu’on appelait Marie… » À vrai dire nous pensons tous un peu comme vous que la pilule est amère pour le « pauvre Joseph », mais c’est que nous n’avons pas l’expérience d’avoir une épouse immaculée et le propre Fils de Dieu sous notre toit ! J’imagine que ça doit compenser pas mal de frustrations, non ?

À propos de fils, Marie est la mère de Jésus, c’est entendu, mais la mère de Dieu… Vous ne trouvez que vous y allez un peu fort ?

C’est très fort, il est vrai ! Encore plus que vous ne l’imaginez d’ailleurs. Car l’expression Mère de Dieu traduit faiblement le grec Theotokos qui signifie « Celle qui accouche de Dieu ». Le latin dit Dei Genetrix, la génitrice de Dieu…. Ces appellations sont le corolaire indubitable de l’affirmation centrale de la foi chrétienne : Jésus est Dieu fait homme. La Vierge n’a pas mis au monde un fils qui par la suite serait devenu Dieu ou auquel Dieu se serait adjoint. Une mère d’évêque par exemple n’a pas mis au monde un évêque, mais un homme qui plus tard deviendra évêque. Tandis que Marie, elle, a conçu et enfanté celui qui est Dieu éternellement. C’est donc à bon droit qu’on peut l’appeler Mère de Dieu. Un peu comme une mère n’est pas mère simplement du corps de son enfant. Elle est mère de son enfant, corps et âme, de la personne de son enfant, quoiqu’elle ne soit pas à l’origine de l’âme de son enfant. Semblablement Marie est mère de la personne de Jésus, vrai Dieu et vrai homme, quoiqu’elle ne soit pas à l’origine de la divinité de son Fils. Elle n’est pas mère de la divinité, mais Mère de Dieu fait homme !

Et toutes ces superstitions qui l’entourent, ses pèlerinages, ses sanctuaires, on nage en pleine idolâtrie !

Au contraire je pense que la Vierge est celle qui préserve le christianisme de dégénérer en gnose, en idolâtrie, en superstition. Elle nous ramène sans cesse à cette « charnière de chair » dont parlait Tertullien. Notre foi ne repose pas sur des élucubrations de théologiens, des mythes ou des concepts subtils. Car ni les légendes, ni les philosophies, ni les belles idées n’ont de maman. Tandis que Celui en qui nous croyons, Lui, il a une maman de chair et de sang. Impossible d’évaporer le christianisme ou de le plier à notre convenance du moment : il y a une femme juive du premier siècle qui nous fait redescendre sur terre, qui nous précipite au cœur de l’histoire. Les pèlerinages aussi ont cette vertu : ne pas se payer de mot, comprendre par les pieds ce qu’est la religion de l’Incarnation.

Elle serait apparue des milliers de fois dans l’histoire, disent les témoignages. Quel crédit faut-il leur accorder ?

Nous sommes croyants, pas crédules. Nous mettons notre foi en Dieu, pas en la Vierge Marie, encore moins en tel ou tel voyant. Il faut discerner chacun de ces témoignages et « retenir ce qui est bon » comme dit saint Paul. L’Église a cependant authentifié telle ou telle « apparition » (Lourdes, Fatima, Pontmain, Beauraing, etc…), pas très nombreuses à vrai dire. Les fidèles sont dès lors tenus d’accorder considération aux apparitions reconnues par l’Église. Mais cela ne constitue en aucun cas un article de foi. Cependant les catholiques aiment à voir, dans le fait que la Vierge ait pu se manifester aux hommes, le témoignage de sa sollicitude maternelle, et de cela, ils ne doutent pas, car ils en font bien des fois pour eux-mêmes l’expérience.

Il paraît que le mois de mai est le mois de Marie. Qu’est-ce que c’est encore que ces balivernes ?

C’est une pieuse coutume en effet. Vous savez combien les enfants mettent d’effervescence et d’ingéniosité à préparer chaque année la Fête des mères. Il y a quelque chose de cela dans la dévotion mariale. Comme le mois de mai est, sous nos climats, le plus beau des mois, on le consacre naturellement à la Toute-Belle. Plagiant Aznavour, on pourrait chanter : « j’aime Marie au mois de mai ». Il y a aussi le mois d’octobre qui est le mois du Rosaire. La Vierge est ainsi honorée au mois des fleurs, mai, et au mois des fruits, octobre. Elle est dans le jardin du Bon Dieu, la plus belle fleur qui a porté le plus beau des fruits, Jésus, le fruit béni de ses entrailles.

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