Peut-on encore croire que l’Église est sainte ?

Chaque dimanche à la messe, les catholiques disent à haute voix : « je crois en l’église, une, sainte, catholique et apostolique ». Après les révélations du rapport de la ciase*, remis le 5 Octobre 2021 aux évèques de France, qui ont mis au jour, la monstrueuse ampleur des agressions sexuelles, commises par des membres de l’église, Lili sans gène, est plus que dubitative : comment peut-on encore croire à la sainteté de l’église ?

LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET JEAN DE SAINT-CHERON

Jean de Saint-Cheron est directeur de cabinet du recteur de l’Institut catholique de Paris

Quand des prêtres – même 2 ou 3 % – ont commis des horreurs pendant des décennies sans que cela sorte, peut-on encore parler de « sainteté » de l’Église ?

Jean de Saint-Cheron : Il existe dans le christianisme un vieil adage : « L’Église est sainte et composée de pécheurs. » Attention, ce n’est pas juste une formule pour évacuer tout débat, c’est vrai, mais il faut essayer de comprendre ce que cela veut dire. L’Église n’est pas l’assemblée de ceux qui pensent être saints, mais, au contraire, l’assemblée de ceux qui se savent pécheurs et qui ont besoin d’un sauveur : Jésus. Le christianisme sait que l’homme est pécheur, et qu’il n’a pas voulu répondre pleinement au projet d’amour et de bonheur de Dieu pour lui. L’homme a choisi l’indépendance, avec ce que cela suppose de soumission à son orgueil et à son égoïsme.

La crédibilité de l’Église en prend quand même un sacré coup !

Je veux rappeler que l’Église est d’abord sainte de la sainteté du Christ qui la sauve. Le chrétien, c’est celui qui agrippe la main que le Christ lui tend et qui crie : « Seigneur, sauve-moi ! » L’homme fait souvent un mauvais usage de la liberté que Dieu lui a donnée, malheureusement. Aveugle au mal qu’il commet, il continue de pécher et s’enferme dans son péché. Il faut se rapprocher de Dieu et de sa lumière pour voir son péché, en prendre l’entière responsabilité et repartir dans la bonne direction.

En attendant, les péchés commis par des hommes d’Église risquent fort de m’éloigner de la messe pendant un bon bout de temps…

Le péché est tellement violent, tellement traumatisant, que nous ne voyons plus que lui. Il nous hypnotise. Et il y a l’insoutenable spectacle des victimes du péché : je comprends que, devant la souffrance d’un enfant, on veuille se révolter contre Dieu, ou refuser de croire. Mais Dieu est dans cet enfant. D’une certaine manière il est cet enfant. En effet, Jésus nous a dit qu’il était en chacun des pauvres, des souffrants, des petits, des humiliés.

Il faut retourner notre manière de voir : ce n’est pas parce qu’une chose mauvaise, violente ou perverse, est faite par des chrétiens, et même, horreur suprême, au nom de Dieu, qu’elle est chrétienne. Au contraire ! « La plus grande persécution de l’Église ne vient pas d’ennemis extérieurs à l’Église mais du mal qui est au-dedans de l’Église », disait Benoît XVI. Notre Église, c’est le corps souffrant de Jésus. Mais n’oublions pas qu’il est ressuscité, qu’il nous conduit au Paradis, qu’il nous a promis le bonheur éternel.

Les chrétiens vont en avoir du boulot pour restaurer la confiance dans l’Église !

« Notre Église est l’Église des saints », disait Bernanos. Les chrétiens doivent retrouver le sens de leur présence dans l’Église : devenir des saints. Il n’y a pas de raison valable à rester membre de l’Église au XXIe siècle, dans notre vieil Occident, si ce n’est pour devenir saint. La Bible et la multitude des justes qui ont mis l’Évangile en pratique au long de leur existence terrestre nous apprennent que la sainteté est le seul vrai chemin du bonheur.

Attendez une minute, les saints ne sont-ils pas des mythes ?

Les saints dont nous connaissons la vie, ceux que nous fêtons au calendrier, ne sont pas des super-héros ni des Wonder Women, mais des personnes de chair, comme vous et moi, qui ont essayé de faire de leur mieux. Pour cela, ils ont suivi la voie de l’Évangile. Ils n’ont jamais prétendu être parfaits. Ils avaient au contraire conscience qu’il leur fallait progresser à la suite du Christ.

Les saints innombrables, célèbres ou anonymes, que nous fêtons à la Toussaint ont suivi Jésus d’une manière radicale en s’efforçant d’aimer – et souvent dans l’ombre. Ils ont un point commun : l’originalité. Ils sont tous originaux parce que l’amour du Christ les a libérés et a révélé leur vraie personnalité. Il n’y a rien de plus banal que le péché : tous les pécheurs sont pris dans les même filets de l’égoïsme, du désir de jouissance à tout prix, de l’orgueil, de la paresse, de la jalousie, de la médisance, etc.

Plus un homme s’approche de Dieu et de son amour infini, plus il prend conscience de son indignité, de sa faiblesse, de la pauvreté de ses propres témoignages d’amour, mais il ne renonce pas, au contraire ! L’humilité chrétienne, ça n’est pas dire «  je suis nul », mais « Dieu m’a fait à son image, et je vais essayer d’en être digne malgré ma faiblesse, car il m’aime et me donne sa grâce. ».

En tout cas, on dirait que les saints ont déserté l’Église depuis quelque temps…

Il reste des chrétiens, croyez-moi ! Le chrétien authentique, c’est celui qui a compris que la seule solution pour vivre le bonheur ici-bas était de marcher vers la sainteté, c’est-à-dire d’aimer. Le péché est la grande blessure de ce monde, la grande blessure de l’homme, la grande blessure au fond de mon propre cœur. C’est une révolte contre l’amour de Dieu, contre la sainteté de Dieu, et je dirais même contre l’innocence de Dieu. C’est par notre péché que Jésus a été mis à mort, lui, l’Agneau de Dieu. La sainteté de l’homme, c’est donc d’abord reconnaître le mal qui le ronge –  qui personnellement me ronge –, bien avant de dénoncer le péché des autres. C’est aussi accepter de regarder le monde tel qu’il est, sans illusion ni idéologie, et c’est enfin se convertir chaque jour. Voilà le salut du monde.

Le christianisme est désavoué, non?

Malgré les errements et les péchés de cette fameuse «   Église sainte composée de pécheurs », je crois sincèrement que le christianisme porte la grande réponse au désir inscrit dans le cœur de tout homme. Dieu a créé tout homme à son image – et pas seulement ceux qui vont à la messe ! Or, en nous créant à son image, il a mis dans notre cœur le désir d’être heureux, d’aimer et d’être aimé.

Les idéologies de l’homme sans Dieu, ou les illusions matérialistes, sont des expressions de ce désir de bonheur, même si l’homme souvent se trompe de cible. Ce n’est pas dans la jouissance passagère et la gloriole qu’il comblera son désir, mais dans l’amour radical. Il n’y a qu’en Dieu qu’on trouve la jouissance absolue et la vraie gloire, qui est sans orgueil !

« C’est à l’amour que vous aurez les uns pour les autres que l’on vous reconnaîtra pour mes disciples », a dit Jésus. Voilà le grand témoignage que doivent vivre les chrétiens aujourd’hui : aimer. Encore et toujours. Le christianisme nous invite à tous devenir saints pour que nous soyons un jour ressuscités, ensemble et pour l’éternité. Ressuscités vraiment, corps et âme ! Le christianisme est une religion folle, immense, aussi grande que le désir qui est dans notre cœur, aussi grande que Dieu. Complètement folle et parfaitement vraie, je vous le promets.

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* Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église

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