Quel est le sens de la vie ?

La vie est dure et difficile à cerner. Bien souvent, il faut même admettre que l’on n’y comprend vraiment rien ! Pourquoi suis-je là ? À quoi suis-je utile ? Mon travail a-t-il un sens ? Quelle est ma mission ? Lili Sans-Gêne est un peu déconcertée. Le père Nathanaël Garric réussira-t-il à la sortir du brouillard ?

LE DÉBAT ENTRE LILI SANS-GÊNE ET LE PÈRE NATHANAËL GARRIC

Lili Sans-Gêne : À quoi bon aller à l’école, apprendre un métier, se faire des amis ? En bref, quel est le sens de l’existence ?

Père Nathanaël Garric : La question est excellente, et même nécessaire ! Au soir de sa vie, Socrate a eu cette exclamation lors de son procès : « Une vie qui ne peut être interrogée ne vaut pas la peine d’être vécue. » Quand il dit cela, il est sur le point d’être condamné à mort et lègue ainsi aux Athé-niens son testament philosophique. Comme il a raison ! C’est tellement important de se poser ce genre de questions ! De mon point de vue, le mot « sens » renvoie à deux idées complémentaires  : celles de cohérence et de finalité. Vivre en cohérence implique de poser des actes qui n’entrent pas en contradiction les uns avec les autres. Réparer une injustice un jour et commettre un vol le lendemain par exemple serait considéré comme absurde. Deuxièmement, cette cohérence doit être en vue d’une finalité qui revêt une certaine valeur à nos yeux, sinon nous allons vite juger que nos efforts ne servent à rien… qu’ils n’ont pas de sens.

Donner un but à son existence, en somme, mais quel but ? La vie au jour le jour est déjà si compliquée !

La vie risque de manquer un peu de relief si l’on se refuse à croire « au sens  profond des choses » comme disait le philosophe et poète danois Søren Kierke-gaard. Un certain nombre d’entre nous prennent les choses comme elles viennent – au jour le jour comme vous dites –, saisissant les opportunités qui passent. Rien ne leur est tout à fait nécessaire hormis la liberté d’improviser leur vie. Leur monde n’est plus  que  chaos,  événements,  ruptures.  Ils  ont  renoncé à trouver un sens. Lorsque seul compte l’instant présent, on ne peut rien construire. Les choses les plus importantes de notre vie (comme l’amitié) s’élaborent dans le temps…

Rassurez-vous,  entre  le  running,  les  concerts et les voyages, ma vie ne manque pas de relief, je suis une personne engagée !

Il est vrai que beaucoup d’entre nous vibrent pour une passion qui fait naître en eux plein de projets (sportifs, professionnels…) et ils commencent à dépenser beaucoup d’énergie pour aller de succès en succès, mais parfois cela les empêche de réfléchir à la question de la souffrance, de la mort, du destin par exemple.

Je veux bien reconnaître que mon hyperactivité m’évite de réfléchir à tout ça…

L’illusion de la vie faussement comblée est puissante, mais quand elle s’évanouit, elle révèle un véritable « vide existentiel » en nous. Ce vide est si désagréable que nous sommes prêts à tout pour le combler. Comme disait le philosophe Blaise Pascal, «   tout le malheur des hommes vient d’une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer au repos dans une chambre ». Rester inactif m’oblige à voir ce que je ne veux pas voir. Alors je me divertis ! Une activité, selon Pascal, qui me détourne de l’essentiel : je suis un homme mortel, marqué du sceau de la finitude. Le divertissement est un bon moyen de faire diversion !

Vivre pour défendre une noble cause comme le climat ou la liberté de la presse ne vous paraît pas suffisant ?

C’est déjà un immense pas que de vivre pour une cause ! En effet, cela implique un réel décentrement de soi : il faudra consentir à bien des renoncements. Mais viendra un moment où se posera la question du moteur de cette lutte. Qu’est-ce qui me pousse à m’engager pour telle ou telle cause ? Si c’est par révolte, je risque de ne rien construire… mais si c’est par amour, ça devient magnifique… à condition de comprendre que « aimer » signifie donner et recevoir. Quand on se bat pour une cause abstraite, il est par nature difficile de savoir de qui l’on pourra recevra un amour qui puisse combler notre cœur. Je pense même que c’est le secret des saints : accepter d’être aimé passionnément !

Devenir saint n’est pas donné à tout le monde !

Permettez-moi de suivre mon propre chemin vers le bonheur. Vous risquez fort de vous y retrouver bien à l’étroit ! Pour  ma  part,  ma  chère  Lili,  j’ai  pris  une  autre  option, et je vous invite à prendre le temps d’y réfléchir. Je crois que le bonheur est une chose que je suis impuissant à me donner moi-même, alors j’ai choisi une vie tournée vers les autres. À une vie réglée, calculée, 100 % rationnelle, j’ai préféré une vie où l’amour est mystère, où je ne maîtrise pas tout, où je ne comprends pas tout, parce que l’existence est trop grande, trop profonde et trop belle pour que je puisse en faire le tour.

Je sais ce que vous allez me dire : cet amour mystérieux, c’est l’amour de Dieu. Pourtant, jusqu’à preuve du contraire, son existence est incertaine et il serait absurde de tout miser sur lui !

Vous avez en partie raison et en partie tort. Si vous vous sentez à l’étroit parmi les choses limitées de ce monde (les objets en tout genre, les différentes réussites, etc.), c’est sans doute que vous aspirez à plus, voire que vous aspirez à un amour infini ! Si tel est le cas, alors il y a fort à parier que le seul amour infini que vous puissiez rencontrer est celui de Dieu. Ainsi, il est peut-être le seul à pouvoir répondre à la question du sens de votre vie. Dieu n’est pas démontrable, c’est vrai. Mais le jour où vous vous mariez, vous misez tout sur l’amour de l’autre  sans  que  vous  puissiez  rien  démontrer.  Quand vous sacrifiez tout pour votre passion, êtes-vous certaine de faire le bon choix ? Le choix de s’ouvrir à Dieu est du même ordre : on est obligé de choisir (pour ou contre lui) sans pouvoir prouver qu’on a raison.

Vous m’intriguez. En quoi cela consiste au juste ?

Vivre pour l’amour infini de Dieu consiste à ne rien chercher pour soi, à ne pas porter un regard nombriliste sur le monde, mais plutôt à vivre un décentrement. Il s’agit de rechercher le bien de l’autre en croyant que Dieu prend soin de nous. Sans la foi, c’est un peu compliqué, car la vie est parfois très cruelle. Faire le choix de l’absolu et de l’infini ne signifie pas renoncer aux choses que  l’on  aime,  mais  débusquer  l’illusion  qui  consiste à y mettre tout son cœur. C’est croire finalement  que  seul  l’amour  de  Dieu  pourra  réellement combler mon cœur…

POUR ALLER PLUS LOIN

Le père Nathanaël Garric est prêtre de la Communauté de l’Emmanuel et du diocèse de Paris. Engagé pendant plus de dix ans dans la pastorale des lycéens et des étudiants, il a eu l’occasion de témoigner de sa vocation de prêtre dans les médias audiovisuels.

Vivre, pour quoi ? Pour qui ? Père Nathanaël Garric, Salvator, 2022, 123 pages, 12,80 €.

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