Vivre en harmonie avec la nature est un long et étroit chemin de crête, entre les deux précipices : son exploitation honteuse par l’homme et la vengeance amère contre son prédateur.
PAR PASCAL IDE – PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE MEYER
Pascal Ide est prêtre du diocèse de Paris et membre de la communauté de l’Emmanuel. Il est docteur en médecine, en philosophie et en théologie, délégué des évêques d’Île-de-France pour les prêtres étudiants étrangers et enseignant aux Bernardins. Parmi ses derniers ouvrages parus : Le Burnout, 2015 ; Puissance de la gratitude, 2017 ; Aimer l’autre sans l’utiliser, 2019 ; Comment discerner, 2020.
De nombreuses études le montrent : une promenade en forêt, vivre avec un chien, cultiver des plantes vertes dans son appartement, etc., stimule le système immunitaire, diminue l’inflammation, la fatigue, le stress, aide à lutter contre la dépression, améliore la mémoire à court terme et la créativité, dope l’es- time de soi et la bonne humeur, etc. L’on parle même de sylvothérapie ou de wilderness therapy. D’ailleurs, celui qui participe à une activité en forêt augmente sa contribution financière aux organismes de protection de la nature et consomme plus responsable.
Agir ainsi est déjà un progrès. Ces derniers siècles, nous avons exploité notre environne- ment jusqu’à l’épuiser, nous mettant à l’école de Descartes affirmant dans son Discours de la méthode : nous sommes « comme maître et possesseur de la nature ». Mais en rester là (respecter la nature parce qu’elle nous fait du bien) est encore utilitariste
LA VALEUR DE LA NATURE
L’étape suivante consiste à prendre conscience que la nature a une valeur intrinsèque, indépendamment de son utilité pour moi. Cette montagne est bonne et belle, qu’elle serve ou non à mes desseins. « Chaque créature possède sa bonté et sa perfection propres », dit le Catéchisme de l’Église catholique. « Les différentes créatures, voulues en leur être propre, reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la sagesse et de la bonté infinies de Dieu. C’est pour cela que l’homme doit respecter la bonté propre de chaque créature » (n. 339).
Le risque, quand nous prenons conscience de la valeur propre de la création, c’est de nous sentir tellement blessés par l’ampleur de la crise écologique que nous cherchions à faire subir à l’homme ce qu’il fait subir à la nature : le détruire. C’est ainsi que, face aux théories dites anthropocentriques de la domination de l’homme sur la nature, se sont dressées des théories dites biocentriques de la domination de la nature sur l’homme. Certains affirment que nous ne sommes que des hôtes que la Terre héberge, pire, des parasites dont elle doit se débarrasser. Quitte à l’aider comme dans L’Armée des douze singes, le film de Terry Gilliam qui met en scène le personnage de l’ecowarrior ou écoterroriste.
CULTIVER LA NATURE
Mais le contraire d’une erreur est une erreur. Changer de côté n’est pas changer de jeu. Le prochain pas est le suivant : nous pouvons à notre tour faire du bien à la nature en la protégeant. C’est toute la responsabilité écologique dont parle l’encadré. Là encore j’y propose plusieurs phases. Il reste une dernière étape à franchir pour vivre pleinement l’harmonie avec notre nature : la cultiver. Dans un article célèbre publié en 1967, Lynn White Jr. accuse la Bible d’être responsable de cette domination. Dieu n’y commande-t-il pas à l’homme : « Soumettez la terre » (Gn 1,28) ? C’est oublier que les destructions écologiques massives existent dans des pays très peu christianisés comme la Chine ou l’Inde. C’est surtout oublier que la Bible est un tout cohérent. Or, le premier récit de la création est complété par un second où Dieu prescrit aussi à l’homme de « cultiver et garder » la terre (Gn 2,15). Garder, c’est la responsabilité écologique dont nous avons parlé. Cultiver, c’est l’achever, lui permettre de porter un plus grand fruit. C’est ce que permet une technique mesurée, sobre, respectueuse des cycles naturels. Osons-le dire. La nature attend l’homme pour qu’il invente ce qu’elle n’a pas su faire : la roue ou une bouteille de bon vin…
4 CLÉS POUR UNE RELATION HARMONIEUSE À LA NATURE
Le discours sur la responsabilité écologique décourage ou agace. Sauf si on l’intègre dans un chemin en quatre étapes :
1 S’émerveiller et remercier
Pour la nature certes, pour sa beauté, pour ses exemples de coopération, etc. ; mais aussi pour l’homme et pour son œuvre, la technique : « La techno-science, bien orientée, peut produire des choses réellement précieuses pour améliorer la qualité de vie de l’être humain », elle « est capable de produire du beau. Peut-on nier la beauté d’un avion, ou de certains gratte-ciels ? » (Laudato si’, n° 103.)
2 Compatir pour notre nature qui souffre
Le pionnier américain de l’écologie Aldo Leopold écrivait qu’« une éthique de la terre est un processus à la fois intellectuel et émotionnel ».
3 S’engager dans des gestes écoresponsables
Pierre Rabhi a popularisé une légende amérindienne. Un immense incendie de forêt se déclare ; tous les animaux observent le désastre, impuissants. Seul un colibri s’active, allant chercher quelques gouttes d’eau dans son bec pour les jeter sur le feu. « Tu es fou, tu n’éteindras pas le feu avec ces gouttes », lui dit le tatou. « Je le sais, répond le colibri, mais je fais ma part. » « Il ne faut pas penser que ces efforts ne vont pas changer le monde. Ces actions répandent dans la société un bien qui produit toujours des fruits au-delà de ce que l’on peut constater » (Laudato si’, n° 212).
4 Garder l’espérance
Quand on demande aux collapsologues (théoriciens de l’effondrement) s’il faut avoir des enfants, ils répondent par leur témoignage : « Nous sommes de jeunes papas. Nous avons choisi d’avoir confiance en la capacité des humains à traverser les tempêtes entre peines et joies. »
TÉMOIGNAGE : « CES DÉCOUVERTES M’ONT ÉMERVEILLÉ »
« J’ai longtemps ignoré mon foie. Je savais à peine où il se trouvait. Jusqu’au jour où, notamment par la médecine chinoise, j’ai découvert que c’est le plus gros organe après la peau (il pèse environ 1,5 kg), qu’il contient près de 300 milliards de cellules (4 fois plus que le cerveau), exerce pas moins de 500 fonctions différentes en parallèle, est protégé comme le cœur et les poumons. Pourquoi ? Placé entre l’intestin et le reste du corps, il redistribue dans la circulation générale tous les nutriments dont l’organisme a besoin au moments où il en a besoin. En même temps, il filtre les apports toxiques. Le tout, selon un rythme quotidien : le jour, il se concentre sur l’assimilation, la nuit, sur l’élimination. Ces découvertes m’ont émerveillé. Elles m’ont aussi rendu plus responsable : j’évite de manger après 19 heures ou je dîne léger, permettant à ce cadeau qu’est mon foie de mieux exercer sa fonction de désintoxication . »