Née à Kigali, élue Miss France en 2000, Sonia Rolland a fondé l’association Maïsha Africa pour venir en aide aux enfants orphelins du génocide des Tutsi au Rwanda. Depuis 2019, elle campe l’un des rôles principaux de la série « Tropiques criminelles », diffusée sur France 2. Le tournage de la troisième saison vient de s’achever aux Antilles.
PROPOS RECUEILLIS PAR ALEXANDRE MEYER
Exilée très jeune, première Miss France d’origine africaine, brillante comédienne… Quel regard portez-vous sur votre parcours ? Ma force c’est mon expérience. J’ai l’impression d’avoir vécu mille vies ! Je suis née en Afrique, j’ai passé mon enfance au Rwanda et une partie de mon adolescence au Burundi, j’ai connu la France rurale des années 1990 en vivant chez ma grand-mère dans un hameau de 400 habitants… Cette France des campagnes, je considère que c’est la force vive de notre pays.
Comment êtes-vous arrivée en Bourgogne ? Notre séjour au Burundi s’est arrêté net avec le génocide au Rwanda voisin, qui a perturbé toute la région des Grands-lacs. Ma mère était Tutsi, inscrite sur la liste des personnes menacées, et nous avons dû partir. Nous étions des « bourgeois » en Afrique et nous avons connu le déclassement social. Mon père, chef d’entreprise depuis 20 ans, est devenu ouvrier manutentionnaire, ma mère était la seule femme noire de la ville… Tout cela nous a appris une chose : la valeur du travail, du labeur. L’abnégation et la résilience font partie de ma vie depuis lors.
Vient la consécration… Quand j’ai été élue Miss France devant 15 millions de téléspectateurs, le champ des possibles s’est ouvert devant moi. Le titre est lourd à porter et vous expose énormément, mais j’avais reçu une éducation et des valeurs, j’avais mes priorités en tête : devenir comédienne et, plus tard, réalisatrice. J’avais aussi conscience d’être un trait d’union culturel et social entre deux générations, entre plusieurs France.
L’INTELLIGENCE DU CŒUR
Parlez-nous de votre association, Maïsha Africa*. L’association fête ses 20 ans cette année, c’est le temps du bilan. Les orphelins du Rwanda sont devenus des adultes. N’est-il pas temps de changer nos objectifs ? Sur place, l’enfance est bien prise en main à présent. Pourquoi ne pas consacrer les vingt prochaines années à la sauvegarde de la biodiversité ?
Je voudrais me consacrer à une question qui me paraît très importante : la sauvegarde des abeilles. Elles ont conclu un pacte avec la nature pour préserver l’équilibre de la biodiversité et contribuent à la sauvegarde de notre humanité. J’aimerais comprendre pourquoi elles se dirigent tout droit vers l’extinction. Je suis d’ailleurs devenue apicultrice depuis quelques temps : j’entretiens une cinquantaine de ruches du côté d’Azé, près de Cluny, en collaboration avec Thierry Dufresne et son Observatoire français d’apidologie**.
Vous êtes aussi une réalisatrice engagée et accomplie… J’ai sorti trois documentaires, tous consacrés à la résilience. C’est un thème qui me passionne et m’interroge beaucoup, surtout ces temps-ci. J’aime voir de la lumière là où il n’y en a pas, me dire que l’humanité n’est pas perdue. Il y a des âmes qui se battent pour améliorer notre société, il faut les mettre en valeur !
« J’adorerais me marier à l’église ! »
Êtes-vous une maman comblée ? Oui. Pourtant, je ne suis clairement pas le modèle à suivre. J’ai conscience d’être la maman de deux enfants de deux pères différents… Je ne suis pas une mère parfaite, mais je suis comblée, car je récolte les fruits d’un travail acharné sur la question des valeurs, de l’encadrement. Malgré mes absences liées au travail, mes filles sont bien dans leur peau et c’est le plus important. Elles sont stables, elles s’expriment. Chercher à être parfaite ça ne sert à rien, ce qui compte, c’est d’écouter son enfant.
Une maman comblée, mais une femme blessée ? J’ai fait la paix avec moi-même. J’ai laissé la maturité s’installer et cessé d’être le Saint-Bernard de tout le monde, ou la sainte Thérèse – ma sainte favorite – qui croit en toutes les âmes perdues. J’ai fait mon analyse, afin de comprendre pourquoi j’allais toujours vers le même type d’hommes blessés, à réparer, pourquoi j’agissais comme la thérapeute de mes compagnons. On fait toujours une thérapie pour se protéger des autres et l’on finit par se protéger de soi-même. Cela provient de l’éducation, du passé, des traumas liés aux adieux, aux départs sans savoir où aller…
Depuis vous vous êtes blindée ? J’essaye de m’en tenir à une formule très simple : faire attention à ce que l’on dit, ne pas tout prendre pour soi, ne pas faire de supposition et faire de son mieux. Cela a changé ma vie, j’ai trouvé une grande sérénité.
Ma mère, qui est très croyante, m’a appris les fondements de la foi catholique, mais pas ce qui vient autour. Comment vivre ma foi dans le monde actuel ? À l’heure de l’exposition médiatique permanente, comment vivre l’humilité ? Qu’est ce qui est bien et qu’est-ce qui ne l’est pas ?
Que voulez-vous transmettre à vos filles ? Je veux leur montrer que l’on n’a rien sans se battre, leur transmettre un état d’esprit de battante, développer leur caractère et leur empathie. Le tout c’est de garder un bon équilibre entre les deux. Dans la vie professionnelle, surtout dans mon métier, il en faut du caractère ! Il faut observer, être humble et parfois s’imposer. Mais savoir reconnaître ses fautes aussi, lorsque l’on s’est trompé. Et surtout, faire primer l’intelligence du cœur.
Qu’est-ce qui fait votre bonheur ? Mon bonheur c’est mon environnement familial, mes enfants. Je n’ai pas d’autre culpabilité que de devoir laisser mes enfants à la maison pour partir en tournage. Il y a de quoi être fier, non ? Je me lève en me disant : je n’ai fait de mal à personne, je peux me regarder dans une glace. Je crois que j’ai au moins réussi cela en dépit de tout ce que j’ai traversé.
« La spiritualité, on peut l’enseigner à ses enfants avec des mots simples, en laissant la foi se révéler. Elle les conduira peut-être pousser la porte d’une église… »
Comment vivez-vous le contexte actuel ? J’ai vécu un autre genre de confinement qui s’appelle la guerre, le couvre-feu constant, les pénuries… Ces choses-là vous marquent. Oui, la pandémie est un vrai bouleversement, mais les Français, même défavorisés, ont accès à l’école gratuite, à la santé gratuite, à tant d’acquis sociaux, à la culture, à internet… Il faut relativiser !
Quelle est l’espérance qui vous anime ? J’ai une spiritualité très forte et très animée par le devoir de mémoire. Il y a quelque chose qui nous échappe, qui est plus grand que nous. Face à la vie, on ne peut pas ne pas être humble. Je considère que la vie est un miracle, que c’est un bien précieux. Que la santé est un cadeau incroyable… Il ne faut pas renoncer. Il faut tout donner jusqu’à son dernier souffle.
La spiritualité, on peut l’enseigner à ses enfants avec des mots simples, en laissant la foi se révéler. Elle les conduira peut-être à pousser la porte d’une église. Il faut éveiller une curiosité sans imposer. Le résultat, c’est que l’une de mes filles a décidé toute seule de recevoir le baptême.
Quand j’ai du mal à retenir leur attention sur ce sujet, je délègue à ma mère le soin de le transmettre. Il faut cultiver le lien avec les grands-parents, qui construisent les fondations les plus solides, avec méthodologie. Ma tante nous enseignait le catéchisme à la maison, cela se perd. J’ai choisi de les inscrire dans des écoles catholiques pour qu’elles reçoivent cet enseignement.
Y a-t-il une célébration qui vous a marqué en particulier ?
Oui, le baptême de mes enfants, dans la petite église médiévale du village de ma grand-mère, dans le Béarn. C’était une manière de lui rendre hommage. L’église est restée dans son jus, j’avais mis des petits bouquets de fleurs blanches au bout des bancs, c’était simple et beau… J’adorerais me marier à l’église ! (Rires.) Il ne faut jamais injurier son destin…
Pour aller plus loin
Tropiques Criminels
La troisième saison de « Tropiques criminels », dont le tournage s’est achevé cet été à Fort-de-France, la capitale martiniquaise, est attendue sur France 2 pour la fin 2021.